Pouvoir mesurer la performance intrinsèque d’un bâtiment en moins de 24 h, tel est le cap que se sont fixés les 20 chercheurs du projet SEREINE, mandatés par 16 organisations professionnelles du bâtiment et pilotés par l’Agence qualité construction (AQC). L’enjeu du projet : massifier les travaux de rénovation énergétiques en mesurant leur apport de façon simple et fiable. Aux frontières de la R&D, SEREINE est une méthode pionnière qui a surmonté de multiples défis scientifiques et consacre plus de 10 ans de travaux. Focus sur les enjeux, les dessous, les innovations et les premiers résultats de cette méthode inédite.

Article rédigé avec l’aide de Pierre Oberlé, de l’Institut national de l’énergie solaire (INES) et chef de projet bâtiment du projet SEREINE ; Simon Thébault, chercheur au Centre Scientifique et Technique du Bâtiment (CSTB) qui travaille sur la méthode de calcul et Arnaud Challansonnex, chercheur au CSTB qui travaille sur la méthode de mesure.

L’enjeu,
Objectiver la performance énergétique réelle d’un bâtiment

Pour comprendre à quoi sert la méthode SEREINE, il faut distinguer la théorie de la pratique. On sait en effet calculer la performance thermique théorique d’un bâtiment neuf et c’est d’ailleurs obligatoire pour s’assurer qu’on ne construit pas des passoires énergétiques. Mais, comme tout calcul théorique, il est sujet à de potentielles approximations. Pour mesurer la performance réelle, il n’existe aucun moyen simple, fiable et peu coûteux. On peut bien sûr analyser les consommations du bâtiment mais le résultat dépendra beaucoup du comportement de ceux qui l’occupent. On saurait isoler ce qui tient de ce comportement mais c’est complexe et long, donc uniquement pertinent pour des bâtiments de grande taille dans le cadre d’un audit énergétique détaillé. On peut, enfin aussi, utiliser la méthode du co-heating qui consiste à vider les lieux, à les chauffer durant plusieurs semaines pour finalement conclure sur la performance. Mais cette longue durée d’immobilisation est un frein rédhibitoire pour une mesure qui se veut opérationnelle.

Or une fois que les occupants sont dans les lieux, il est trop tard pour corriger d’éventuelles erreurs de construction ou de rénovation. Il fallait donc trouver une méthode efficace pour mesurer la performance énergétique réelle d’un bâtiment, au moment de la réception. C’est la raison d’être de SEREINE qui sera valable pour le neuf mais aussi et surtout pour les bâtiments rénovés. Un enjeu d’autant plus important, dans l’ancien, que l’évaluation théorique y est encore plus approximative que dans le neuf. Le Diagnostic de performance énergétique (DPE) repose en effet sur de simples constats visuels, l’analyse des consommations, le type d’habitat ou l’année de construction, etc. Mais valider l’apport d’une rénovation est aussi plus difficile que dans le neuf car les logements sont en général occupés et les budgets faibles. On ne peut donc pas y consacrer de longues études. Cette mesure fiable est pourtant indispensable si on veut massifier les travaux de rénovation et valoriser les entreprises qui travaillent bien.

La mesure,
Une méthode pionnière, fiable et simple à mettre en œuvre

Simple à mettre en œuvre, la mesure fait appel à de multiples innovations et à du matériel sophistiqué. Elle se déroule en 5 étapes, comme on le voit sur le schéma ci-dessous (cliquez pour agrandir) :

Principe de la mesure SEREINE
Un opérateur consulte son ordinateur pour implanter le matériel de mesure. En arrière-plan, on distingue un module intérieur : chauffage mobile, ventilateur, sonde de température, compteur électrique et système de pilotage.
Un opérateur positionne les capteurs extérieurs pour préparer la mesure.

Dans l’habitat collectif, c’est plus compliqué. Soit on appréhende l’immeuble comme une grosse maison et on chauffe tous les appartements. Mais pour éviter d’arriver avec un convoi de matériel on est obligé d’utiliser le chauffage central en place. Ce qui nécessite d’intervenir sur un système appartenant à un tiers et peut créer entre autres des problèmes de responsabilité. C’est pourquoi on préfère choisir quelques appartements représentatifs, le plus souvent en angle car ils ont davantage de murs extérieurs. On procède alors comme dans une maison mais avec, en plus, des capteurs dans les appartements voisins, pour mesurer l‘impact du flux thermique qui passe à travers les murs mitoyens.

Qu’il s’agisse de neuf ou d’ancien, d’habitat individuel ou collectif, avec SEREINE la France est pionnière en Europe, voire dans le monde. Jamais un tel travail n’avait été mené pour évaluer l’incertitude sur toute une chaîne, de la mesure au résultat, en passant par la modélisation. Il a fallu 10 ans de travaux, un matériel de mesure conçu pour l’occasion et une bibliothèque de modèles numériques ainsi que des algorithmes uniques.

La genèse,
Près de 10 ans de travaux

Si la communauté scientifique s’est intéressée au sujet, dès les années 80, les recherches n’ont véritablement décollé qu’en 2012 avec une équipe de 5 ingénieurs qui s’y consacrent pleinement, au CSTB. Ils y consolident une méthode scientifique mais il s’agit encore de prospective. La donne change en 2016, avec le programme PACTE, financé par l’État pour faire avancer la transition énergétique. Deux projets démarrent avec le même objectif et la même cible, le neuf, mais 2 équipes séparées. D’une part, le CSTB, le COSTIC et le CEREMA qui travaillent sur le projet MERLIN ; et d’autre part l’INES, ARMINES et Cythelia qui travaillent sur le projet EPILOG. 3 ans plus tard, ils arrivent tous les deux au même résultat : une mesure fiable en 4 jours, avec des méthodes assez proches, à quelques subtilités près.
Quand le programme Profeel prend le relai en 2019, les choses s’accélèrent. L’objectif est d’obtenir un résultat fiable en moins de 24 h, d’étendre la méthode à la rénovation, de la rendre plus facile à mettre en œuvre et d’y inclure l’habitat collectif. EPILOG et MERLIN fusionnent pour former le projet SEREINE qui est piloté par l’AQC et associe 7 organismes (ARMINES, CEREMA, COSTIC, CSTB, INES, NOBATEK/INEF4 et USMB). Une vingtaine de chercheurs et techniciens se mettent au travail. Ils ont gardé tout leur matériel et le meilleur de chaque méthode pour affronter les défis scientifiques découlant de cette nouvelle feuille de route mais aussi ceux qui relèvent de la méthode.

Les défis,
Délai, simplicité et niveau d’incertitude

Si la plupart des nouveaux défis scientifiques sont propres aux objectifs de SEREINE, il existe aussi des défis plus anciens, liés au fait qu’on cherche à mesurer une performance réelle sur une grande diversité de bâtiments. Une diversité qui a obligé les chercheurs à mettre au point une multitude de modèles théoriques dans lesquels ils peuvent piocher, à chaque fois, celui qui s’adapte le mieux. S’ajoute à ce défi, le fait que cette mesure s’accompagne, comme toute mesure, d’un grand nombre d’incertitudes : celle des capteurs, celle du modèle, celle des opérateurs, celle du dispositif de pilotage, etc. Pour aboutir à un résultat fiable, on a dû bien les identifier et les quantifier.

Les objectifs propres à SEREINE sont quant à eux porteurs de 3 nouveaux défis :

  • 1er défi : le délai. Passer de 4 jours à moins 24 h tout en restant fiable est aujourd’hui encore un enjeu qui relève de la R&D parce qu’il faut du temps pour voir comment se comporte un bâtiment avec précision. Pour y répondre, les équipes ont exploré 2 pistes : améliorer l’algorithme de traitement et jouer sur les différentes façons de solliciter le comportement thermique du bâtiment, pour que le niveau d’incertitude baisse plus vite.
  • 2ème défi : la simplicité de la méthode. Pour une maison, le matériel de mesure comprend aujourd’hui 6 à 8 modules pour l’intérieur, autant de chauffages, de ventilateurs et de sondes ; un dispositif central ; et 6 capteurs extérieurs. Une importante marge de progrès se trouve là, dehors. On pourrait en effet supprimer certains de ces capteurs en recalculant le rayonnement solaire ou le vent par exemple, à partir des informations de la météo. A condition, une fois de plus, de modéliser le niveau d’incertitude associé.
  • 3ème défi et non des moindres : l’habitat collectif. Parce qu’un immeuble comporte aussi, outre des murs extérieurs, des murs mitoyens, les apports thermiques des appartements voisins perturbent la mesure. Il faut donc les quantifier et mesurer leur influence sur le niveau d’incertitude.

On l’aura compris, pour relever tous ces défis il faut aussi trouver le bon compromis entre la précision souhaitée et les contraintes. Si la décision est du ressort de la filière et des pouvoirs publics, les scientifiques sont là pour l’éclairer.

Les 4 maisons expérimentales du site de l’INES sur lesquelles les chercheurs s’appuient pour mettre au point la mesure SEREINE. Elles représentent 4 types de bâti différents : monomur, ossature bois, béton banché et double mur de parpaing enserrant de la laine de verre.

Les résultats,
Vers une mesure en moins de 24 h dès 2022

Prolongé de 6 mois à cause de la crise sanitaire, le projet SEREINE se terminera fin 2021. Les chercheurs ont donc encore une année pour aboutir à une mesure fiable en moins de 24 h, avec un niveau d’incertitude acceptable. C’est peu et c’est beaucoup, compte tenu du chemin déjà parcouru. À la fin de l’année 2020, ils ont réussi à atteindre leur objectif en moins de 48 h sur les maisons isolées par l’intérieur et ont identifié des pistes prometteuses pour descendre à moins de 24 h. Reste à faire le même travail pour les maisons isolées par l’extérieur. Dans l’habitat collectif, la méthode fonctionne pour certaines configurations. Elle sera encore améliorée. Enfin, le matériel nécessaire est en train d’être optimisé pour alléger le matériel de mesure et son coût. Quant au niveau d’incertitude acceptable, une consultation est en cours au sein de la filière.
Pour arriver à ces résultats, les équipes ont réalisé plusieurs milliers de simulations numériques, une centaine d’essais sur des cellules de laboratoire de 25 m2 et 75 mesures sur les maisons expérimentales du site de l’INES. D’autres vont suivre, auxquels s’ajouteront des essais terrain sur de vraies maisons rénovées pour évaluer si la mesure est simple à mettre en œuvre et recueillir des retours d’expérience. 20 opérateurs ont été formés dans ce but. Ces essais réels sont en cours, leur nombre dépendra des aléas de la crise sanitaire.
Toute l’équipe est plus que jamais mobilisée, les yeux rivés sur l’objectif de 24 h.

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